Un débat contradictoire sur les retraites sur France Inter

Ce matin (3/01/2023), France Inter a eu l’idée d’organiser un débat sur le projet de réforme des retraites. L’audience de cette radio permettait d’ouvrir un débat contradictoire audible par le plus grand nombre. Deux économistes genre Laurel et Hardy, étaient invités à développer leurs arguments ;
Jean Marc Daniel (Hardy) partisan de l’allongement de l’âge de départ et Thomas Porcher (Laurel) opposé à cet allongement.
Malheureusement le débat ne fut pas équilibré ; Hardy pouvait développer ses arguments sans être interrompu tandis que Laurel était constamment interrompu par Léa Salamé ! Le seul auditeur, appelé par Nicolas Demorant, à poser une question était pour l’augmentation de la durée hebdomadaire du travail.
Même si quelques éléments d’information ont bien été donnés, loin de nous éclairer, ce pseudo-débat a sans doute un peu plus embrouillé l’esprit des auditeurs.

Ce matin (9/1/2023), France Info a organisé un débat d'une demi-heure sur le même sujet entre deux économistes Nathalie Chusseau et Thomas Porcher. Cette fois, le débat a été bien plus équilibré et constructif. Les différents "paramètres" ont bien été évoqués (hausse des cotisations, allongement du nombre de trimestres de cotisation, report âge de départ, diminution du montant des retraites des plus riches, augmentation des retraites les plus basses, ...); de plus Thomas Porcher a bien montré que le plein emploi des seniors évite tout besoin de réforme !

La réforme des retraites ne me concerne pas vraiment vu que je suis retraité depuis 13 années déjà. Mais ce sujet concerne mes enfants ainsi que mes amis actifs.

La France a un système de retraite par répartition (1); chaque travailleur actif cotise pour abonder les caisses de retraite, lesquelles redistribuent immédiatement les fonds récoltés aux retraités. Comme existent 3 caisses de retraite différentes, il y a 3 taux de cotisation distincts : le taux de la CNAVTS, le taux de l’ARRCO et le taux de l’AGIRC. Chacune de ces caisses a besoin de ressources matérielles et humaines pour récolter et redistribuer les cotisations ; donc une petite part des cotisations est prélevée à cet effet.
On peut regretter ces 3 caisses multipliant les prélèvements ; au départ seule la CNAVTS existait. Mais les gouvernements successifs ont voulu réduire le poids financier pour l’État, du versement des retraites et ont cédé à diverses pressions syndicales et patronales. C’est ainsi que la caisse privée ARRCO plutôt dédiée aux emplois peu rémunérés à été créée. Puis la caisse privée AGIRC a été créée à son tour dédiée aux emplois de cadres.

Un organisme, le COR, a pour mission d’évaluer le montant total des retraites à distribuer pour les années à venir ; ceci afin d’ajuster et d’anticiper les taux de cotisation. Les paramètres faisant évoluer le montant des cotisations et des retraites sont nombreux ; citons le nombre des retraités, leur espérance de vie, le montant initial de leur retraite, l’inflation, l’âge de départ à la retraite, la durée des cotisations, les taux de cotisation, le nombre de travailleurs actifs, le taux de chômage, …
Voir ici rapport du COR et ses différents scénarii ou Télécharger le pdf
Sur le long terme, les projections du COR sont forcément discutables à l’infini.

A ce jour le montant total des retraites distribué en France est d'environ 340 milliards d’euros.
Les projections du COR montrent que le système est équilibré et même légèrement bénéficiaire en 2022. D’ici quelques années, il pourrait devenir déficitaire d’environ 12 milliards d’euros, puis redevenir équilibré un peu plus tard.
12 milliards par rapport à 340 milliards, c’est 3,53 % de déficit prévu d’ici quelques années donc largement le temps d’ajuster les taux sans remettre en cause l’âge de départ en retraite ! Et actuellement, le système est bénéficiaire d’environ 3 milliards d’euros soit 0,88 % de boni.
Manifestement, il n’y a pas péril en la demeure et donc nul besoin vital de réformer notre système de retraite.

Pourquoi ce gouvernement veut-il donc réformer à tout prix ?
Et quelles seraient les conséquences de cette réforme ?


- En principal, le gouvernement veut reculer l’âge de départ en retraite à 65 ans voire 67 ans comme dans d’autres pays européens. Ce recul de l’âge de départ augmente la durée des cotisations recueillies par les caisses et donc les fonds. Puisque le système est actuellement équilibré, cela signifie que le boni augmente considérablement.
Le gouvernement envisage de récupérer ce boni pour d’autres usages que les retraites.
C’est un détournement de fonds, un vol manifeste des futurs retraités !


- Par ailleurs la réforme Touraine appliquée implique 43 années de cotisation pour obtenir la retraite à taux plein. Pour un cadre actif à partir de 22 ans cela signifie un départ en retraite à 22+43=65 ans ! Pour un manoeuvre actif dès 16 ans cela signifie un départ en retraite à 16+43=59 ans ! Pour ce dernier, le départ en retraite à 65 ans est une inégalité flagrante.

- Mais il y a plus grave. En effet, avec l’âge le risque de chômage des travailleurs augmente. Rares sont les travailleurs qui oeuvrent jusqu’à l’âge de départ en retraite de 62 ans. Une forte proportion d’entre eux sont des chômeurs dits de longue durée et qui n’ont quasi aucune chance de retrouver un emploi. Cette situation diminue leur effort de cotisation, altère leurs droits à retraite et diminue donc le montant de cette retraite.
En retardant l’âge de départ à la retraite, on accentue ce grave inconvénient.

Enfin, il faut s’interroger sur les raisons du chômage des seniors et sur les raisons du chômage en général.
Les entreprises utilisent de plus en plus de robots de toutes sortes qui leur permettent de réduire la « masse salariale ». Dans un contexte de concurrence internationale exacerbé, les entreprises sélectionnent de jeunes cadres dynamiques au détriment de tous les autres. Cela réduit donc le nombre des salariés cotisants, donc le montant global des retraites à taux de cotisation constant.
Un autre phénomène voit le jour : de plus en plus de travailleurs démissionnent ! Parce que le travail qu’on leur propose est trop mal payé, mal réparti dans la durée journalière, ou pire parce que ce travail est soit dévalorisant, soit contraire aux enjeux environnementaux ou sociaux.

Un nouveau risque apparaît : si le nombre de cotisants devient de plus en plus faible mais que le nombre de retraités reste important voire croît (2), il faudrait augmenter les taux de cotisations aux dépens des travailleurs ou encore allonger la durée de cotisation ou l’âge de départ en retraite ; du coup, certains travailleurs pourraient se sentir lésés et céder aux pressions des lobbies de la retraite par capitalisation.

En résumé, la bonne santé de notre système de retraite par répartition est d’abord lié à la qualité et au nombre des emplois proposés ainsi qu'à la perennité de ces emplois jusqu'au moment du départ en retraite (4). Pour cela il faut sans doute limiter la tendance à la robotisation et au tout numérique qui suppriment bien plus d’emplois qu’ils n’en créent. Il faut également maintenir ou créer des emplois étiques, des emplois qui rendent réellement service aux autres, des emplois qui ne menacent pas notre support de vie (3).

CNAVTS Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse des Travailleurs Salariés
ARRCO Association des Régimes de Retraite COmplémentaire des salariés
AGIRC Association Générale des Institutions de Retraite des Cadres
COR Conseil d'Orientation des Retraites

(1) Dans d’autres pays comme les Etats Unis on trouve un système de retraite par capitalisation ; chaque travailleur cotise dans un Fonds de pension qui accumule les sommes cotisées, les place dans des opérations financières diverses afin de faire fructifier ce capital. A l'âge de sa retraite le travailleur ayant cotisé x années percevra sa retraite en une fois ou sous forme de rente. On comprend bien que ce système est spéculatif et bien plus risqué que le système par répartition.

(2) Pas sûr que l’espérance de vie des gens augmente encore beaucoup malgré les progrès de la médecine ; en effet, ici encore le mercantilisme tue l’objet humain de la médecine ; de plus les dégâts environnementaux, la perte de biodiversité et le réchauffement climatique devraient accroître le nombre des victimes.

(3) Est-il bien nécessaire de fabriquer des armes de guerre ? De détruire notre environnement par l’extraction de minerais, de métaux, d’hydrocarbures, … ? De nous inonder de publicité et de nous inciter à acheter toujours plus ?

(4) C'est surtout en France que les seniors (âgés de plus de 45 ans) sont déconsidérés par les entreprises qui les rejettent en leur donnant moins de formation, en les débauchant à chaque fois que possible (crise économique, transaction, ...).

Edité le:09/01/2023